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Le gros fourgon cellulaire noir qui roulait à vive allure dans Stresemanstrasse ralentit pour aborder le carrefour. Comme si le passage du véhicule eût déclenché quelque savant mécanisme, les feux rouges s’engloutirent dans la pénombre pour laisser place aux feux verts et le fourgon reprit de la vitesse.
Le chauffeur était un gros type blond au visage rouge. Il chantonnait en conduisant. À ses côtés, un garde armé d’une mitraillette mâchonnait une allumette en regardant le sombre flot de la circulation. Soudain, les lampadaires municipaux s’allumèrent. Aussitôt, tous les automobilistes éclairèrent leurs phares. C’était automatique. Le chauffeur du fourgon en fit autant. En trois secondes, Stresemanstrasse passa du jour mourant à la nuit. Au ciel, pourtant, de grandes lueurs mauves s’attardaient, mais cette décision collective des hommes les avaient rendues brusquement négligeables.
La voiture décrivit un arc de cercle afin d’emprunter Budapesterstrasse ; puis elle obliqua résolument à droite pour foncer en direction de l’Elbe. Comme elle arrivait en vue des bâtiments rococos signalant l’entrée de l’Elbtunnel, deux motards de la police qui attendaient devant Landungsbrücken mirent leurs machines en marche et rejoignirent le fourgon.
Leurs cirés noirs trempés de pluie luisaient à la lumière des lampes comme des carapaces d’insectes.
Le chauffeur leur adressa un clin d’œil sans cesser de chantonner. Le cortège pénétra à l’intérieur du bâtiment et suivit la voie menant à l’ascenseur. Des automobilistes et des cyclistes faisaient la queue devant les grilles. L’immense cabine d’acier jaillit tout à coup du sol et un gardien galonné actionna les portes qui coulissèrent silencieusement. Les voitures et les cyclistes s’engouffrèrent à l’intérieur de l’ascenseur, mais ils ne purent tous s’y loger et une demi-douzaine de cyclistes durent attendre le tour suivant. L’ascenseur disparut pour aller déposer son chargement au-dessous du fleuve. La rotation des poulies grasses sur lesquelles filaient les énormes câbles permettait de mesurer la profondeur de la cage. La descente dura un bon moment, puis les poulies s’immobilisèrent pour repartir bientôt en sens inverse. Lorsque la cage réapparut, les cyclistes voulurent y entrer, mais les deux motards s’interposèrent et firent signe au fourgon d’avancer. Docilement, les cyclistes se rangèrent sur les trottoirs de bois. De même ils n’insistèrent pas lorsque les deux policiers leur condamnèrent à nouveau l’accès de la cage après l’entrée du véhicule, bien qu’il restât beaucoup d’espace disponible. La scène se déroula sans un mot. Le préposé referma les grilles sur les policiers et actionna d’un geste indifférent le levier de descente.
Appuyés sur leurs vélos, les ouvriers regardèrent s’enfoncer la vaste cabine illuminée.
Aucun ne pensa au prisonnier qui se trouvait à l’intérieur du fourgon.